Les fistules anales crypto-glandulaires sont les plus fréquentes des suppurations ano-périnéales.
De surcroît, c’est une affection connue de longue date, Hippocrate en parlait déjà dans ses écrits et celle qui a affecté Louis XIV est célèbre. Elles sont dues à une infection d’une des glandes d’Hermann et Desfosses. Ces glandes, dont le rôle est inconnu, sont situées sur la ligne des cryptes du canal anal. Les facteurs favorisants de cette infection sont mal connus.
Sur le plan anatomique, chaque fistule se caractérise par un orifice interne primaire (point de départ de l’infection) dans le canal anal, un trajet fistuleux de hauteur variable qui traverse l’appareil sphinctérien et un abcès et/ou un orifice secondaire (point de sortie de l’infection) au niveau de la marge anale ou de la fesse, voire du rectum. Il n’y a donc pas de fistule borgne externe, et inversement toute suppuration qui n’a pas une origine cryptique n’est pas une fistule anale.
Les fistules avec abcès révélateur
Les fistules avec abcès révélateur se manifestent le plus souvent sous la forme d’une douleur anale permanente, pulsatile, insomniante, non rythmée par les selles et parfois associée parfois à une fièvre. A l’examen, la peau de la marge anale ou de la fesse est rougeâtre, tendue, luisante et douloureuse.
Le toucher anal permet de localiser l’orifice interne : point du canal exquisément douloureux avec un bombement ou au contraire une dépression. En cas d’abcès intramural du rectum, la douleur est à l’intérieur du canal anal, l’examen de la marge est alors normal mais le toucher ano-rectal, très douloureux, voire impossible, permet de percevoir l’abcès.
Les fistules avec suppuration chronique
Les fistules avec suppuration chronique, pouvant succéder à une phase d’abcès ou s’installer d’emblée, se manifestent le plus souvent sous la forme d’un orifice externe d’où sourd un suintement malodorant de sérosités et de sang souillant les sous-vêtements, associé à des douleurs intermittentes en cas de mise en tension de la suppuration.
La palpation permet, en cas de fistule basse, de sentir un cordon induré, correspondant au trajet se dirigeant vers l’orifice primaire. Parfois, il y a plusieurs orifices externes. S’ils sont homolatéraux, ils correspondent presque toujours à un même orifice interne. S’ils sont bilatéraux, il faut suspecter une extension controlatérale dite « en fer à cheval », les fistules anales doubles ou triples étant rares.
La localisation de l’abcès et/ou de l’orifice secondaire donne une idée sur le type et la hauteur du trajet fistuleux. En effet, quand l’abcès et/ou de l’orifice secondaire siège(nt) au niveau de la marge anale, le trajet fistuleux est habituellement intersphinctérien. Quand l’abcès et/ou de l’orifice secondaire siège(nt) au niveau de la fesse, le trajet est habituellement trans-sphinctérien ou suprasphinctérien. Quand l’abcès et/ou de l’orifice secondaire siège(nt) au niveau de la paroi rectale, le trajet est intramural.
Parfois, le trajet fistuleux se complique sous la forme d’un ou plusieurs prolongements secondaires (ou diverticules) dont la survenue peut-être favorisée par l’administration intempestive d’antibiotiques et/ou d’anti-inflammatoires. Pour finir, l’estimation de la hauteur du trajet et de ses éventuels prolongements (cliniquement et/ou radiologiquement par échographie endo-anale et/ou imagerie par résonance magnétique) est un élément important afin de choisir la prise en charge thérapeutique ayant le moins de risque pour la continence anale.
Le traitement de l’abcès sous tension est urgent et repose sur une incision, si besoin sous anesthésie locale, en consultation ou une mise à plat chirurgicale si l’abcès est profond et difficile d’accès (cf encadré).
Le traitement du trajet fistuleux repose sur la chirurgie mais n’est pas une urgence. Il a essentiellement deux objectifs : d’une part, tarir la suppuration et éviter la récidive en traitant la crypte responsable, d’autre part, respecter l’appareil sphinctérien afin d’éviter la survenue de troubles séquellaires de la continence anale. Il se fait au bloc opératoire en un ou plusieurs temps opératoires. Ses modalités sont laissées à l’appréciation du proctologue qui décide au cas par cas. Il repose sur la section du trajet fistuleux (fistulotomie) dont les modalités (un ou plusieurs temps opératoires, serrages élastiques) varient selon la hauteur du trajet fistuleux (cf encadré). Les techniques d’épargne sphinctérienne (injection de colle biologique, mise en place de plug, lambeau d’abaissement, LIFT, Laser FiLaC, etc.) sont une alternative thérapeutique en cas de risque avéré sur la continence anale (fistule multi-opérée, trajet haut avec plusieurs prolongements secondaires, fistule antérieure chez la femme, maladie de Crohn, diarrhée chronique, etc.) mais leurs résultats sont moins bons en terme de guérison (cf encadré).
Les suites opératoires dépendent du type de geste effectué (cf encadré).
Nadia FATHALLAH
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Mise à plat d’un abcès sous tension
Un abcès anal est une cavité remplie de pus, situé à proximité de l’anus ou du rectum. Il est le plus souvent secondaire à une fistule anale crypto-glandulaire.
L’abcès anal est une urgence proctologique. La prise en charge consiste à mettre à plat l’abcès pour soulager la douleur du patient et éviter l’évolution vers une cellulite grave ou un choc septique.
En consultation, s’il est accessible, l’abcès peut être incisé à l’aide d’un bistouri à lame (figure 1), sinon, une mise à plat chirurgicale au bloc opératoire doit être rapidement envisagée.
Ce geste permet le plus souvent un soulagement immédiat de la douleur et une régression en quelques jours de l’inflammation des tissus adjacents. Néanmoins, en cas d’abcès fistuleux, la récidive est habituellement la règle et l’incision ne permet pas d’éviter le recours au drainage chirurgical.
Nicolas LEMARCHAND, Manuel AUBERT, Paul BENFREDJ, Denis SOUDAN, Katia FELLOUS, Hélène PILLANT-LE MOULT et Benoît MORY
Modalités d’une fistulotomie
1. La première étape, capitale, est la découverte de l’orifice primaire cryptique.
2. La deuxième étape est la dissection-exérèse du trajet jusqu’au plan musculaire.
3. Le troisième temps est le traitement du trajet principal trans-sphinctérien qui dépend de la quantité de muscle intéressé par la fistule.
En cas de fistule basse (trans-sphinctérienne inférieure), la mise à plat se fait en un temps : fistulectomie par dissection-exérèse jusqu’à la crypte responsable ou fistulotomie par section du trajet sur le stylet.
En cas de fistule haute (trans-sphinctérienne supérieure ou suprasphinctérienne), il faut dans un premier temps, mettre en place une anse de drainage souple (ou séton) dans le trajet.
Le deuxième temps opératoire a lieu, en moyenne, deux mois à trois plus tard, après la cicatrisation de cette intervention et consiste à mettre à plat le trajet.
En cas de fistule à haut risque de troubles séquellaires de la continence, le trajet sera progressivement mis à plat en effectuant plusieurs opérations de section successives (traitement par section en plusieurs temps) ou par une « section lente » du sphincter réalisée par la mise en tension du fil élastique lors des consultations post opératoires (cf encadré). Le choix entre ses différents gestes dépend essentiellement des habitudes du chirurgien qui vous a opéré.
4. Le quatrième temps consiste en la mise à plat des éventuels prolongements secondaires.
Nicolas LEMARCHAND, Manuel AUBERT, Paul BENFREDJ, Denis SOUDAN, Katia FELLOUS, Hélène PILLANT-LE MOULT et Benoît MORY
Les serrages élastiques postopératoiresDans certaines situations à risque sur la continence anale, le traitement d’une fistule anale en un seul temps par fistulotomie immédiate est déraisonnable. On peut alors être amené à mettre en place un séton élastique dans l’optique d’une fistulotomie élastique progressive. L’idée est d’abaisser le trajet fistuleux en faisant des tractions progressives sur l’élastique en consultation toutes les deux semaines. Cet intervalle de temps, permettra une « soudure » progressive des fibres sphinctériennes au dessus de l’élastique (selon le même principe qu’un fil à couper le beurre). Elle vise ainsi à éviter la déformation anale par rétraction immédiate des berges sphinctériennes qui risquerait de survenir en cas de fistulotomie chirurgicale.
Sur le plan pratique, à chaque séance, on met en tension l’élastique avec une pince et on le ligature au ras du sphincter. Le nombre de séances dépend de la hauteur du trajet fistuleux. Le but est d’avoir une descente progressive de l’élastique jusqu’à son ablation complète. Si l’élastique tombe entre deux consultations, il doit être amené et montré au praticien afin qu’il vérifie que sa boucle soit restée fermée témoignant d’un traitement correct de la fistule.
L’inconvénient de cette technique est la douleur provoquée, parfois intense, par la traction qui peut durer quelques heures après le geste. Elle peut être prévenue par la prise d’antalgiques avant le geste.
Le choix entre une fistulotomie chirurgicale ou élastique progressive est laissé aux habitudes des praticiens.
Nadia FATHALLAH et Élise POMMARET
Les suites opératoires d’une fistulotomie
Dans les suites du traitement d’une fistule anale, la cicatrisation nécessite en moyenne huit semaines. En effet, les plaies cutanées, plus ou moins étendues, sont toujours laissées ouvertes pour être drainées vers l’extérieur. Les soins peuvent être réalisés le plus souvent par le patient lui-même à domicile ou nécessiter des soins infirmiers dans un premier temps lorsque les plaies sont profondes ou larges. L’opérateur est revu en consultation, en général tous les 15 jours pour surveiller la cicatrisation.
Les douleurs sont en règle modérées et il peut exister des suintements parfois importants mais qui restent normaux. La position assisse peut être inconfortable surtout en cas de fistule haute où des soins locaux par une infirmière sont souvent nécessaire compte tenu de l’importance de la plaie.
L’arrêt de travail est donc fonction de la hauteur du trajet. Il est de trois semaines, en moyenne, en cas de fistule basse. Il peut être plus long en cas de fistule haute et complexe, à plus forte raison quand la reprise du travail est impossible entre les temps opératoires.
Des troubles de la continence (difficultés pour retenir les gaz et les selles liquides) peuvent survenir d’autant plus si coexistent d’autres facteurs de risque de l’incontinence tels que : diarrhée chronique, colopathie fonctionnelle, antécédent d’accouchement difficile, intervention proctologique préalable. Ces facteurs seront pris en compte par votre opérateur et peuvent nécessiter un traitement en plusieurs temps afin de limiter les risques d’altération de la continence.
Les récidives sont généralement le fait des fistules « complexes » et ne dépassent pas 5%. Il s’agit en général de ramifications des trajets dont le drainage était insuffisant. Elles nécessitent de nouvelles interventions.
Nadia FATHALLAH et Élise POMMARET
Les techniques d’épargne sphinctérienneLes techniques d’épargne sphinctérienne sont des techniques chirurgicales qui visent à guérir le trajet fistuleux sans avoir à couper le sphincter. Elles sont surtout proposées en cas de risque d’incontinence anale en post opératoire.
On dispose actuellement des techniques suivantes :
– colle ou pâte biologique : injection dans le trajet du séton.
– lambeau d’abaissement : avancement de la muqueuse et la musculeuse du rectum pour recouvrir hermétiquement l’orifice interne de la fistule dans le canal anal.
– laser : coagulation du trajet à l’aide d’une fibre laser (FiLaC®).
– LIFT : ligature du trajet fistuleux à travers l’espace intersphinctérien (entre le sphincter interne et externe).
Elles se font sous anesthésie loco-régionale (rachi-anesthésie) ou générale. Aucune préparation préalable spécifique n’est nécessaire. La seule précaution est de s’assurer d’un bon drainage préalable de la fistule avec un séton.
Aucun soin postopératoire n’est non plus nécessaire. Quelques écoulements séreux et/ou sanguinolents par l’orifice externe peuvent persister durant les 4 semaines postopératoires mais, en cas de guérison, ils finissent par se tarir spontanément.
Une simple prescription de paracétamol est suffisante car les suites opératoires sont le plus souvent indolores. L’arrêt de travail éventuel est par conséquent inférieur à une semaine.
Ces techniques sont donc intéressantes mais leurs taux de succès sont inférieurs à la fistulotomie car elles exposent à davantage de risque de récidive de la fistule anale.
Élise POMMARET